Chretienté/christianophobie

Chrétiens d’Orient (2. Le Levant)

Le christianisme est apparu et s’est développé au Proche-Orient bien avant son arrivée en Occident. Depuis saint Paul jusqu’à l’empereur Constantin, la nouvelle religion a essaimé et s’est répandue dans toute la partie orientale de l’empire romain et bien au-delà. Ainsi, le premier pays qui adopta le christianisme comme religion officielle fut le royaume d’Arménie, dès 301 après Jésus-Christ, donc avant l’empire romain. Les premières églises chrétiennes d’Égypte furent construites autour de l’an 200. C’est en 330 que Constantin transféra la capitale impériale de Rome à Constantinople. Depuis cette date, cette métropole située à la limite de l’Europe et de l’Asie Mineure devint le centre d’où rayonna le christianisme d’Orient.

Contrairement au christianisme romain d’Occident, celui d’Orient ne fut jamais unitaire. Il se subdivisa, au gré de son expansion et de querelles de dogme ou de personnalités, en de nombreuses Églises dont plusieurs subsistent jusqu’à nos jours. Ces Églises d’Orient appartiennent à quatre grands ensembles dont un seul est uni à l’Église catholique, celui des Églises catholiques orientales, aussi appelées uniates. Ces Églises uniates sont elles-mêmes divisées en Églises de rites différents, selon les traditions alexandrines, syriaque, arménienne ou byzantine. Deux des autres grands ensembles sont constitués par les Églises que l’on qualifie d’orthodoxes ; ce sont les Églises orthodoxes orientales et les Églises byzanto-slaves.

Enfin, le dernier ensemble comprend l’Église apostolique assyrienne et l’Ancienne Église de l’Orient.                           

Ces quatre grands ensembles recouvrent des réalités fort différentes, depuis la Serbie jusqu’à l’Inde et de la Russie jusqu’à l’Éthiopie. Dans certains pays, ces réalités prennent la forme d’Églises nationales, autocéphales, comme en Grèce ou en Russie, en Serbie ou en Éthiopie. Dans d’autres contrées, passées sous la domination musulmane, les chrétiens d’Orient forment des communautés minoritaires plus ou moins importantes, souvent elles-mêmes divisées en différentes Églises. Pour simplifier, on serait tenté de dire que la langue grecque est ce qui unit toute cette diversité, comme le latin unit l’Église catholique dans tous les pays. Or, cette simplification serait erronée, puisque l’Église copte d’Égypte utilise la langue copte qui descend de l’égyptien ancien, tandis que la langue liturgique de l’Église copte d’Éthiopie est le guèze. Ces deux Églises orientales ont donc une très grande diversité dogmatique, historique et rituelle.                                                            

Dans certains de ces pays devenus musulmans, le christianisme a complètement disparu. C’est le cas de ceux de la péninsule arabique ou du Maghreb. Il a quand même pu subsister, avec des fortunes diverses, dans les pays du Proche Orient, de l’Égypte à l’Irak, du Soudan à la Turquie. Malheureusement, dans nombre de ces pays, le sort des chrétiens s’est gravement détérioré ces dernières années. Dans mon précédent article, j’ai décrit la situation tragique des Coptes égyptiens.

Le sort des chrétiens d’Irak est indubitablement le plus angoissant. Durant les années de la dictature de Saddam Hussein, ces chrétiens étaient sans doute marginalisés mais au moins disposaient-ils d’une assez grande liberté de culte. Un chrétien irakien, Tarek Aziz, est même parvenu à gagner la confiance du dictateur et à gravir les échelons au sein du parti Baas pour occuper, durant de longues années, le poste de vice-premier ministre, en charge de la diplomatie du régime. Saddam Hussein, d’un naturel très méfiant, avait probablement compris qu’il n’avait rien à redouter d’un Chrétien.   Lors des fêtes de Noël de 1990, alors que les chrétiens irakiens célébraient la nativité librement, les soldats chrétiens de la coalition qui se préparaient à libérer le Koweit depuis leurs bases situées en territoire saoudien n’ont pas eu, eux, cette chance. En  Arabie Saoudite, le simple fait de célébrer la messe est interdit et la construction d’églises est tout simplement inimaginable. Du point de vue religieux, l’Irak de Saddam Hussein était donc bien plus tolérant que ce royaume, pourtant grand ami de l’Occident.                     

Depuis l’invasion étasunienne de 2003, le sang n’a jamais cessé de couler dans l’ancienne Mésopotamie. Le nouveau pouvoir, dominé par des musulmans chiites, semble surtout préoccupé de prendre sa revanche contre les musulmans sunnites qui composaient l’essentiel de l’équipe de Saddam Hussein et de son parti Baas. Dans le nouvel Irak, les chrétiens sont stigmatisés et souvent ciblés par des enlèvements et des assassinats. Nombre de chiites reprochent aux chrétiens leur prétendue complaisance passée envers la dictature « sunnite » de Saddam Hussein. Le fait que Tarek Aziz était chrétien prouverait, dans leur esprit, une collusion  évidente entre les chrétiens et l’ancien dictateur. Les chrétiens d’Irak sont de plus en plus présentés comme une communauté « étrangère », une sorte de cinquième colonne des « croisés » occidentaux. En 2008, l’archevêque catholique de rite chaldéen de Mossoul, Mgr Paulos Faraj Rahho, a été enlevé devant sa cathédrale. Son corps sans vie devait être retrouvé quelques jours plus tard. Mossoul, la grande ville du nord du pays, était autrefois considérée comme le centre du christianisme irakien. Nombreux sont les chrétiens qui ont préféré fuir à l’étranger, en particulier en Syrie. D’autres encore ont choisi de gagner des villages au nord du Kurdistan voisin, plus sûrs que Mossoul. Le 15 décembre 2009, des voitures ont explosé devant deux églises syriaques et une école chrétienne de Mossoul, tuant 40 personnes. Le 27 décembre, un autre attentat faisait de nombreuses victimes à Bartillah, un village chrétien. L’été précédent avait été sanglant ; des attentats à la voiture piégée avaient visé des églises de Bagdad et de Mossoul. Les victimes d’assassinats ciblés, par balle, sont également nombreuses.  En juin 2014, la grande ville de Mossoul est tombée aux mains des forces de l’État islamique, provoquant la fuite de 500 000 civils. Les maisons appartenant à des Chrétiens ont été marquées d’un « N » (initiale de « Nazaréen ») et, le 18 juillet, ils ont été mis face à un choix terrifiant, entre la conversion, la mort ou un racket officiel, visant à leur extorquer leurs biens. La croix a été arrachée du sommet de la cathédrale et l’archevêché syriaque catholique ainsi que le couvent Saint-Georges furent incendiés. Les moines du monastère des martyrs Behnam et Sarah, datant du quatrième siècle, ont été chassés. En 2003, il y avait 60 000 Chrétiens à Mossoul. Lors de la prise de la ville par les hordes de l’État islamique, ils étaient encore 35 000. Aujourd’hui, il n’y en a plus, tous ceux qui l’ont pu se sont dans un premier temps réfugiés à Qaraqosh, à une trentaine de kilomètres de Mossoul. Malheureusement, le mois suivant, cette ville, située dans la plaine de Ninive, finit elle aussi par être prise. C’était la plus importante ville chrétienne d’Irak. Ces Chrétiens de Qaraqosh, ainsi que ceux de Mossoul qui s’y étaient réfugiés, n’eurent d’autre choix que l’exode. Ils savaient quel sort leur serait réservé s’ils tombaient aux mains des bandes de tueurs de l’EI. Les témoignages recueillis auprès de rescapés, les vidéos prises dans des zones sous le contrôle de ces fanatiques sont effrayants, épouvantables et terrifiants : exécutions de masse, crucifixions, décapitations, saccages d’églises et de couvents. Les chrétiens d’Irak formaient une communauté de 800 000 personnes avant l’invasion US de 2003. Aujourd’hui, leur nombre a été divisé par trois.   

En Syrie, alors qu’ils sont les plus anciens habitants du pays et qu’ils représentaient environ 15 % de la population du pays en 1905, ils n’étaient  plus que 10 % en 2011 au début du conflit actuel. Depuis,  ils assistent impuissants à la destruction de leur patrie. Le régime Assad père et fils, lui-même issu d’une minorité religieuse, leur avait octroyé une grande liberté de culte. Aujourd’hui, ils sont victimes de ce conflit inter-musulmans dans lequel ils ne souhaitent pas prendre parti. Soupçonnés de soutenir le régime en place par les uns, ou de ne pas dénoncer la rébellion par les autres, ils sont suspects aux yeux des uns et des autres. Maaloula est une petite ville de montagne située à presque 1 400 mètres d’altitude, dans le Djebel Qalamoun, au nord-est de Damas. C’est une localité à majorité chrétienne qui présente la particularité d’abriter une population parlant encore l’araméen. Le 7 septembre 2013, Maaloula est  tombée aux mains des islamistes du front al-Nosra. Les djihadistes tuèrent au moins 20 civils et en enlevèrent d’autres qui n’avaient pas pu prendre la fuite et qu’ils gardèrent comme otages. L’armée syrienne parvint à reprendre la ville le 19 septembre. Mais le 1er décembre suivant, les islamistes se sont ré-emparés de Maaloula. Cette fois-là, ils enlevèrent 12 religieuses du monastère orthodoxe de Sainte-Thècle, qui ne furent libérées qu’en mars 2014, en échange de prisonniers du régime de Damas. Durant leur occupation de Maaloula, les islamistes ont commis un « véritable massacre archéologique », pillant l’église conventuelle, un des plus vieux édifices chrétiens du monde, datant du début du IVe siècle, et détruisant des icônes d’une valeur inestimable. La petite ville a finalement été libérée de l’emprise islamique le 14 avril 2014. Face à cette guerre qui n’en finit pas, nombre de Chrétiens ont préféré quitter ce pays dans lequel ils vivaient depuis deux millénaires. Près de 300 000 de ces Chrétiens syriens ont trouvé refuge dans le seul Liban.

Le Liban avait été créé par l’administration française, après la dislocation de l’empire ottoman, afin d’assurer la sécurité des Chrétiens sur un territoire où ils ne seraient pas minoritaires. Un équilibre des pouvoirs avait été défini afin que toutes les communautés religieuses soient représentées au sein des institutions du pays. Depuis lors, la démographie a joué en défaveur des Chrétiens, au profit des Musulmans sunnites et surtout chiites. Beaucoup de Chrétiens libanais ont eux aussi, depuis la guerre civile des années 70 et 80, choisi l’exil. Aujourd’hui, le mouvement politico-militaire chiite Hezbollah constitue plus qu’un État dans l’État. Son armée est plus puissante et mieux équipée que celle de l’État libanais. Elle occupe la partie sud du territoire et maintient un état de guerre avec Israël, ce qui est contraire aux intérêts du Liban. Avec le soutien de l’Iran, le Hezbollah impose sa domination politique et militaire sur le Liban et il intervient en Syrie aux côtés des troupes de Bachar al-Assad. L’avenir des Chrétiens du Pays des Cèdres est donc étroitement lié à l’issue du sanglant conflit syrien.

Dans les territoires contestés de « Cisjordanie » et de Gaza, les Chrétiens sont en voie de disparition. À l’arrivée au pouvoir du Hamas en 2005, il y avait encore 6000 Chrétiens à Gaza.  Aujourd’hui, ils sont moins de 1000. En octobre 2007, des militants islamistes ont kidnappé un responsable de l’Église Baptiste de Gaza, Rami Ayad, avant de le battre en public et de l’assassiner. Dans les territoires contrôlés par l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas, la situation des Chrétiens n’est guère plus réjouissante. La ville natale du Christ, Bethléem, était à majorité chrétienne avant 1948. Aujourd’hui les Chrétiens représentent moins de 30 % de la population de cette ville toute proche de Jérusalem. Le processus de disparition de la minorité chrétienne, dans les territoires palestiniens, s’est considérablement accéléré depuis les accords d’Oslo et la mise en place d’une administration palestinienne dans les principales villes. Le mouvement national palestinien est de moins en moins laïc et l’embryon de Constitution adopté en 2002 fait référence à la charia, ce qui n’est pas sans inquiéter les Chrétiens qui n’ont pas voulu prendre le chemin de l’exil et qui constatent, impuissants, l’islamisation croissante de la société palestinienne.   

On l’aura compris, les Chrétiens ne sont en sécurité dans aucun des pays du Proche-Orient. Partout leur avenir est menacé, sauf en Israël où, contrairement aux territoires sous contrôle de l’Autorité Palestinienne, la population chrétienne s’accroît. Il paraît donc légitime de se poser la question de savoir si les Chrétiens ont encore un avenir sur cette terre « si étroitement liée à la personnalité même du Sauveur », selon le mot du pape Paul VI.

Hervé Cheuzeville

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