Chretienté/christianophobie

Une terre sainte

La crise spirituelle de notre pays repose essentiellement sur l’oubli et le rejet de ses racines chrétiennes. Non point judéo-chrétiennes, comme on l’entend parfois pour demeurer dans le concert unanime, car la France a bien été construite par le catholicisme romain et latin. Les autres apports, mineurs, distillés parfois au cours des siècles, n’ont pu se greffer que grâce à ce lit chrétien d’alluvions riches et sans cesse renouvelées. En contemplant la situation actuelle, nous sommes peut-être tentés de désespérer car l’Eglise elle-même, dans bien des cas, semble déboussolée ou même avoir abandonné son rôle d’inspiratrice et de guide. Chaque baptisé a le devoir de faire survivre ce qui est à sa portée, sans trop se soucier des manques et des lâchetés de ceux qui devraient être des pasteurs plus éclairés et plus vigilants.

Il n’est pas possible et acceptable de se tenir pour vaincus en considérant que la bataille est perdue et que rien ne refleurira. Prenez le cas de la Russie, écrasée par soixante-dix ans d’obscurantisme marxiste et de persécution religieuse. Les « petits pères » rouges des peuples soviétiques ont ordonné le dynamitage des cathédrales, la fermeture et le dépouillement des monastères, l’emprisonnement du clergé et des fidèles. Pourtant, aujourd’hui, la sainte Russie renaît, admirable, forte, somptueuse dans ses ors, ses encens et son chant liturgique à l’opposé d’un certain misérabilisme et horizontalisme latins. Les cathédrales sont reconstruites à l’identique à partir du sol, les vocations refleurissent, les monastères sont rendus à la vie contemplative, et même si les pratiquants réguliers sont peu nombreux, les Russes se sentent habités par la même âme russe qu’au temps de saint Alexandre Nevsky ou de saint Serge. Les jeunes artistes poursuivent patiemment la reproduction des icônes de Roublev, de Théophane le Grec ou de Dionysius. Presque tous les habitants de cet immense pays se reconnaissent dans les racines chrétiennes orthodoxes de la sainte Russie.

Une phrase extraordinaire de l’écrivain Romain Gary, né Roman Kacew à Vilnius (alors qu’il aurait préféré naître russe), devrait nous redonner une fierté et un dynamisme négligés pendant tant de décennies : « Pas une seule goutte de sang français ne coule dans mes veines, seule la France coule en moi. » Admirable profession de foi qui devrait couvrir de honte tous ceux qui crachent sur l’essence de la France ou qui ne prononcent que du bout des lèvres, comme des mots malpropres, ce qui pourrait rappeler d’une façon ou d’une autre quel est le berceau de notre pays. L’exemple russe, bien sûr décrié en Occident, montre bien que tout peuple peut renaître de ses cendres, même s’il est tombé dans la démocratie, « tyrannie des bêtes », comme « un papillon dans la gélatine », selon l’expression de Charles Baudelaire.

Il ne dépend que de nous, de redonner à la France l’éclat de sainteté qu’elle mérite depuis son baptême, ceci sans attendre que des autorités civiles ou religieuses se retroussent les manches. Un pays est chrétien par son peuple. Ses dirigeants peuvent le nier mais ils ne seront jamais capables d’éradiquer ce qui est dans la nature même des choses. Les bolcheviks s’y sont cassés les dents, les révolutionnaires français aussi. Le Malin table aujourd’hui sur l’indifférence. Il faut saisir les éclairs de lumière qui traversent notre histoire pour redonner le goût de ses racines à nos contemporains. Nicolaï Gogol écrivait dans Les Ames mortes : « Parmi les chagrins dont notre vie est tissée, luit toujours, à un moment donné, un éclair de joie. Ainsi parfois un brillant équipage, harnais dorés, chevaux fringants, glaces étincelantes, traverse au galop un misérable hameau perdu. Et longtemps, longtemps, les villageois qui ne connaissaient jusque-là que leur humble charrette, demeurent bouche bée, chapeau bas, sans voir que le carrosse-fée a déjà disparu. » L’équipage lumineux qui a traversé notre royaume n’est cependant pas une apparition passagère. Notre terre est sainte.

P.Jean-François Thomas s.j.

SS. Chrysanthe et Darie  25 octobre 2016

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